En 1948 l’ONU proclame une Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette Déclaration prolonge et confirme celle des Droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais en dépit de cette proximité, deux différences méritent d’être relevées et examinées. La Déclaration de 1789 concerne bien l’homme considéré dans sa généralité, mais surtout ce type d’homme qu’est le citoyen.
En effet si l’homme a bien des droits, il ne pourra en jouir qu’en tant qu’il est citoyen. Il faut dans l’espace politique la vigilance du citoyen pour que « les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique en soient plus respectés ». Les normes du droit ne sont significatives et opératoires qu’à la condition que le citoyen soit présent comme celui qui obéit aux lois qu’il a lui-même élaborées et votées. La Déclaration de 1948 est universelle, ce qui change sa nature. Après le combat contre le fascisme et le nazisme qui a concerné, en extension, la quasi-totalité du globe terrestre et, en intension, un mal dont l’intensité a dépassé toute mémoire humaine, c’est la possibilité de l’humanité en l’homme dans toute son extension dans l’espace et le temps qui est devenue problématique : comment des hommes ont-ils pu faire ce qu’ils ont fait ? Le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme a été présenté par une femme, Éléonore Roosevelt, il a été traduit dans 500 langues différentes. Dans son préambule on peut lire que : « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde...la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ». Il y a donc une « famille humaine » et « une conscience de l’humanité ». Aucun texte n’a affirmé plus clairement et dans sa simplicité le lien entre l’humanisme et l’universalisme. Il y a une dignité de la personne humaine qui transcende toutes les différences entre les êtres humains et c’est ce socle de l’humanisme qui est le garant de l’universalisme humain. En un sens tout homme est tout l’homme, ni plus ni moins. Il est manifeste dans cette Déclaration universelle des droits de l’homme que l’humanisme et l’universalisme sont des positions progressistes et fécondes dans les luttes pour l’émancipation, ce qui a été vérifié par exemple dans des luttes contre le colonialisme. Un demi-siècle plus tard cette conquête de l’universel humain, qui avait clairement pour but d’en finir avec le racisme, subit une critique radicale. L’universalisme, au lieu d’avoir pour fonction d’exprimer une identité humaine garant de l’égalité des hommes, est critiqué comme une idéologie qui, en déclarant des droits de façon seulement formelle, masque une réalité historique et politique dans laquelle ces droits sont sans cesse bafoués. Cet écart est tel que la fonction de ces déclarations se retourne contre ce qu’elles déclarent. Elles ne sont pas du coté des luttes libératrices, mais de celui des conservateurs qui s’en servent pour dissimuler un état de fait caractérisé par la domination et l’exploitation du plus grand nombre. Plus encore l’humanisme qui légitime l’universalisme affirmant que la totalité des êtres humains sont au même titre des hommes est également critiqué. La diversité humaine est telle dans l’espace et le temps que toutes les tentatives pour définir ce qui serait une essence humaine excluent nécessairement des hommes et des sociétés humaines. Toutes les « cultures » se valent et l’humanité de chaque individu humain est relative à une identité culturelle. La conséquence en est que la multitude de ces identités culturelles est telle qu’il se peut que l’inhumain d’une culture soit l’humain d’une autre. Réfléchir sur l’universalisme et l’humanisme nous conduira inéluctablement à la question
phare de la philosophie contemporaine :« Qu’est-ce que l’homme ? » Question dont la réponse est la plus simple puisque nous tous qui la posons nous sommes bien des êtres humains, mais aussi la plus difficile car, nous les hommes, nous savons qu’il nous faudra apprendre sans cesse ce qu’il faut être et faire pour être un homme.
Ce travail sur l’universalisme est inspiré et nourri par la lecture du livre du philosophe Francis Wolff « Plaidoyer pour l’universel » Fayard 2019. Qu’il en soit remercié.