Le revenu de base est une vieille histoire que le chômage de masse, l'accroissement continu de la pauvreté et la crise du capitalisme ont mis aujourd'hui en débat. Une expérimentation en Finlande, un référendum en Suisse, des propositions de candidats (droite et gauche) à la présidence de la République en France... et de très nombreux colloques et rapports, du Sénat, du Parlement, de l'OFCE, ... sans parler des travaux de thinks tanks comme la fondation Jean Jaures, Terra Nova, du Mouvement Français pour un Revenu de Base...
Recherchant, dans cet atelier, à faire apparaître les principaux objectifs poursuivis et les principes qui les animent, trois questions apparaissent comme préalables car à la racine de ce qui serait un besoin d'un revenu universel. Pour le dire rapidement, un premier courant s'appuie sur la situation du travail aujourd'hui (et de son évolution prévisible à court ou moyen terme), un deuxième sur la persistance et même le développement de la pauvreté, un troisième sur une crise de solvabilité du capitalisme.
Je propose de ne pas traiter ce dernier point qui demanderait d'entrer dans des analyses essentiellement économiques : c'est l'idée que si les Apple, Nissan, Philips, Samsung, etc..... veulent continuer à vendre leurs produits, il faut qu'il y ait des gens ayant suffisamment de moyens financiers pour les acheter. (ça se discute mais c'est un peu compliqué).
Le second point pourrait plus facilement être traité dans le cadre de l'atelier (étude de la répartition des revenus et des multiples prestations sociales, ... mais il me semble -c'est à discuter au sein du groupe- que la persistance de la pauvreté et même son développement font l'objet d'un large concensus. On peut discuter des solutions mais pas du fait lui-même et, précisément, les différentes versions du revenu universel se présentent comme une solution ou une partie de solution.
Pour le travail, au contraire, il n'y a pas concensus : pour certains, le travail est une donnée anthropologique, indispensable à l'homme à son épanoussiement et à sa vie sociale, pour d'autres la rareté actuelle et à venir d'emplois humainement satisfaisants réclame de "sortir" du travail. C'est pourquoi, avant même d'examiner les différentes versions de revenus d'existence il faut examiner la question du travail et être au clair sur les principaux arguments des uns et des autres.
Nous partirons d'une interviewe filmé d'André GORZ sur son ouvrage "Métamorphose du travail, quête du sens". Ce film belge a été projeté en France aux journées CitéPhilo de Lille en 2009. Sur les principaux points abordés, la discussion se fera sur des textes sélectionnés (Sahlins, Weber, Arendt, Harribey, Friot, Stiegler, ...) et même quelques tableaux ou graphiques à même d'apprécier si les évolutions annoncées par Gorz en 1980 sont ou non vérifiées en 2015.
La question du travail
(7 février 2017)
Film interviewe d'André Gorz : www.youtube.com/watch?v=R5BoVDcBpYY
Les éléments présentés lors de la séance, des extraits vidéo et des textes sont repris ci-dessous dans l'ordre de l'exposition.
On peut donc suivre sur ce site à partir des éléments de cette page. On peut aussi se référer aux seuls textes distribués en séance:
La condamnation de J-M Harribey est radicale. Ses travaux sur l'histoire des théories économiques comme son engagement constant dans le mouvement social, notamment à ATTAC, obligent à considérer au plus près la critique qu'il formule, inlassablement, dans de multiples ouvrages, articles et débats avec les partisans du revenu de base (multiples vidéos de ces débats sur youtube).
Deux textes en réponse sont proposés ici, l'un d'André Gorz (présenté lors de la première séance de l'atelier), l'autre de Jean Gadrey, lui aussi économiste, professeur émérite à l'Université de Lille I, lui aussi fortement engagé dans le mouvement social, lui aussi appartenant au groupe dit des "économistes attérés", ... et lui aussi opposant au revenu de base.
Comme signalé dans la vidéo introductive, le revenu de base est distribué indistinctement à ceux qui travaillent, à ceux qui cherchent du travail, à ceux qui ne peuvent pas travailler pour diverses raisons (santé, garde d'enfants, âge, ...), ... mais aussi à ceux qui peuvent travailler mais ne le veulent pas. N'est-il pas scandaleux de donner un revenu à ceux là ?
Le caractère inconditionnel du revenu de base constitue certainement la première source d'opposition. Il faut donc examiner les arguments en présence.
L'argument est suffisamment fort pour qu'on s'y arrête.
Dans la video introductive, Philippe Van Parijs expliquait que pour "aider les pauvres", c'était plus efficace de donner le revenu à tout le monde, donc aux "riches" aussi. Il faisait référence aux "études empririques" montrant que pour aider les pauvres, les mesures générales étaient plus efficaces que les mesures ciblées : le "take-up rate" (littéralement : le taux de secours) atteint pratiquement 100% si la mesure est générale, alors qu'elle atteint beaucoup moins dans le cas de mesure ciblée comme pour le RSA par exemple. Il énonce 50% des personnes qui, ayant droit au RSA, ne le touchent pas (on s'accorde en fait sur le chiffre de 35%).
En France, cette question du "take-up rate" est connue sous le vocable de : "non-recours aux droits sociaux". Alors que les allocations d'aide sociale existent depuis fort longtemps, l'accent, jsuque dans les années 90 a été mis sur l'identification et la répression de la "fraude sociale". Pendant des décennies, les services sociaux ont été sommés de contrôler davantage les RMI et autres RSA pour lutter contre les bénéficiaires indus de l'assistanat et les "rmistes qui roulent en Porsche". C'est à l'exemple, notamment, de la Grande Bretagne, qu'en 1990, la CNAF a lancer une politique de maîtrise des risques distincte de celle du contrôle des pauvres : le non bénéfice des aides est un échec dans la réduction de la pauvreté et de la précarité qui, l'une et l'autre, conduisent à des situations (notamment de santé...) beaucoup plus "coûteuses" socialement et économiquement.
Jean Gadrey évoque cette question "du non-recours" dans l'extrait vidéo : "... je sais bien qu'il y a un problème de non recours mais on devrait bien trouver une solution...". Ceux qui travaillent sur ce problème semblent rencontrer quelques difficultés....
En 2016, un rapport parlementaire (dit Rapport Sirugue), analyse très précisément les difficultés rencontrées lorsqu'une allocation (il y en a 32 actuellement !) est conditionnée par le niveau des ressources, la taille de la famille, l'activité, l'âge, .... toutes choses qui ont pour caractéristique d'évoluer dans le temps. Le tableau suivant donne une idée des démarches à accomplir. Par ailleurs, le décalage, inévitable, entre un changement de situation et sa prise en charge par l'organisme payeur (la CNAF le plus souvent) a un impact sur les ressources mensuelles. Il est à l'origine de rappels (bonne nouvelle) mais aussi de demande de remboursements "d'indus" (souvent une catastrophe). La solution proposée par le rapport Sirugue est de simplifier fortement le système actuel néanmoins, il restera conditionnée par le niveau de ressource et la situation familliale... il y aura donc toujours un seuil à passer, dans les deux sens....
Baptiste Mylondo, économiste, enseignant à Centrale et à l'IEP-Lyon.
Dans l'extrait vidéo de Jean-Marie Harribey, celui-ci prennait à partie Baptiste Mylondo : "... je regrette, ce n'est pas parceque je joue à la belotte que je crée de la valeur économique....". Voici sa réponse : 20 mylondo belote (378.37 Ko)
Raphaël Lioger, philosophe et sociologue, Sciences-Po-Aix et Collège de philosophie.